Sous la coupole du Musée des Civilisations Noires, chercheurs, responsables institutionnels et acteurs de la société civile ont confronté une idée simple mais décisive : la démocratie ne pourra se régénérer sans une transformation profonde de l’ordre économique.
Organisée par la Fondation de l’Innovation pour la Démocratie, l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), le Campus AFD et plusieurs universités du continent, la conférence internationale « Démocratiser l’économie : un horizon de réinvention des modèles économiques au service d’une démocratie substantive en Afrique » a réuni des voix venues d’Afrique et d’Europe.
D’emblée, l’historien et philosophe Achille Mbembe, intervenant à distance, a planté le décor : « Se réapproprier les ressources du continent africain doit être le premier débat. Le marché, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, entretient des inégalités croissantes qui minent nos démocraties. » Dans la salle, la directrice régionale de l’AUF pour l’Afrique de l’Ouest, se félicitant de la présence « des esprits les plus engagés du moment », a souligné l’urgence d’un dialogue entre savoir académique et prise de décision politique.
Tout au long de la journée, les participants ont exploré cinq grands axes : la généalogie du lien entre crise démocratique et organisation économique en Afrique ; l’émergence de modèles alternatifs fondés sur la solidarité plutôt que sur la seule quête du profit ; l’adaptation d’expériences nées ailleurs, comme l’entreprise à mission ou les budgets participatifs ; la justice intergénérationnelle face aux défis climatiques ; et enfin la recherche d’indicateurs de prospérité capables de dépasser le dogme du PIB.
L’économiste et écrivain Felwine Sarr a insisté sur la nécessité de replacer l’économie dans le champ du politique : « L’ordre économique n’est pas un système autonome ; il doit être configuré pour servir des finalités collectives définies démocratiquement. » À ses côtés, la politologue camerounaise Nadine Machikou a montré comment l’accumulation de ressentiment social affaiblit les institutions sur l’ensemble du continent. L’économiste sud-africain Faizel Ismail, rappelant que « quatre-vingts pour cent des vêtements portés en Afrique sont importés », a plaidé pour une relocalisation de la production comme gage de souveraineté et de résilience civique. Pour Geneviève Pruvost, sociologue au CNRS, les pratiques low-tech fondées sur la subsistance et le soin « ouvrent la voie à un écosystème économique moins prédateur et davantage protecteur du vivant ». Quant à l’économiste français Eloi Laurent, il a défendu la création d’indices de bien-être, d’égalité et de vitalité démocratique afin de « rendre enfin visibles les dimensions invisibilisées par la croissance brute ».
Au fil des échanges, un consensus s’est dégagé : la crise planétaire actuelle ne se résume pas à un dysfonctionnement économique, mais à un désencastrement de l’économie hors de ses finalités humaines et écologiques. « On ne peut pas poursuivre le projet démocratique en conservant un modèle qui détruit la relation au vivant », a résumé Sarah Marniesse, directrice du Campus AFD, appelant à « renouer les fils entre production, solidarité et soutenabilité ».
La rencontre ne s’est pas conclue par un manifeste figé, mais par une dynamique : la création d’un groupe de travail panafricain sur les indicateurs de prospérité et la formation d’une nouvelle génération de décideurs économiques. Les résultats seront intégrés au programme TAL (Training for Active Leadership) et au futur MOOC « Enseigner la démocratie en Afrique », avant d’être présentés lors des Assises de la démocratie prévues en 2026.
En réunissant UCAD, UGB, Université de Nairobi, UM6P de Rabat, UCT’s Nelson Mandela School et d’autres partenaires, la conférence aura démontré que l’Afrique dispose déjà des ressources intellectuelles pour imaginer des trajectoires de développement compatibles avec l’égalité, la dignité et la préservation du vivant. « Redonner à chaque citoyen la maîtrise de son destin collectif », a conclu Felwine Sarr – un horizon désormais porté depuis Dakar.
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